Les Restes de la semaine #3

Lune : Chers sélénites, je suis fâchée. Cette semaine la beuh fut entamée trop tôt et en lieu et place de produire de beaux articles rondement menés, nous n’avons fait qu’un interminable atelier calzone pour passer nos crocs de dingue. Aloïs et Gibet ne parvinrent même pas à s’écharper sur les deux derniers films d’Eli Roth – ils tombèrent, par le pouvoir unificateur du THC, trois fois d’accord. Heureusement, il nous est permis d’expier, car voici venu le temps des Restes de la semaine :


Cinéma : Le Roi des roncesKazuyoshi Katayama, 2009 (Aloïs)

Cinéma : La trilogie Le Parrain, Francis Ford Coppola, 1972-1990 (Dylanesque)

Cinéma : Seul sur Mars, Ridley Scott, 2015 (Jean-David)

Le dessin de la semaine (Lune)


Quand tu auras fini de faire une péné à cette penne, Aloïs, ce sera ton tour de parler.

Le Roi des roncesKazuyoshi Katayama, 2009

roi des ronces lunécile

Aloïs : Je suis tombé sur Le Roi des Ronces complètement par hasard, en fouillant parmi les douze millions de films stockés sur le disque dur familial. À la base, je ne pensais même pas qu’il s’agissait d’un film d’animation, me contentant de le faire glisser dans Nouveau dossier (4) au milieu de mon bureau, pour finalement ne le regarder que trois mois plus tard. Comme j’aime beaucoup les films d’animation japonais, ça a été une agréable surprise de voir que c’en était un, et double bonne surprise, que c’en était un très bon.

En me renseignant un peu sur Le Roi des Ronces, j’ai appris que le film était tiré d’un manga, auquel il reste semble-t-il assez fidèle. Les critiques littéraires s’accordent en tout cas à dire que l’adaptation est réussie. Et j’ai envie de les croire.

Pour résumer rapidement l’histoire, et sans en dévoiler trop : une maladie inconnue, baptisée Médusa à cause de sa propension à transformer en pierre les infectés, commence à se propager sur Terre. La société Venus Gate propose dans le même temps de cryogéniser 160 malades, sélectionnés au hasard pour permettre à ces quelques élus de survivre jusqu’à la découverte d’un remède. Parmi ces élus se trouve Kasumi, jeune lycéenne, mais pas sa sœur jumelle, Shizuku, elle aussi malade. Les patients sont cryogénises dans un château autonome, pouvant continuer à fonctionner une centaine d’année sans intervention humaine. Mais leur sommeil artificiel est brusquement interrompu. Les malades découvrent que le château est envahi de ronces gigantesques, sans savoir depuis combien de temps ils dorment : plus de techniciens ou de médecins, mais à la place, une horde de petits monstres volants qui décime le groupe. C’est véritablement à partir de là que l’action du film commence.

J’ai adoré le film, et c’est rare que je lâche cette sentence. Pour bien lui rendre hommage, il ne faut pas se contenter de louer l’animation. Oui, le dessin est très propre, très clair et confère au film une beauté toute particulière, notamment à travers de magnifiques panoramas. C’est un style net, que l’on retrouve dans la majorité des œuvres les plus modernes de l’animation japonaise, avec des dessins recorrigés informatiquement, qui donnent une impression de perfection du trait et du mouvement. Ce style ne plaît pas forcément à tout le monde, justement à cause de cette netteté qui trahit l’utilisation d’un logiciel, et qui peut apparaître comme impersonnel, au lieu de privilégier la patte d’un auteur et les spécificités du dessin qui font qu’on voit que c’est humain, qu’il y a ce petit quelque chose en plus qui fait que. En l’occurrence, je trouve que les scènes (notamment de combats) sont, de par l’utilisation de ce style, plus claires et plus appréciables.

Mais c’est bien l’histoire et la musique qui ont su s’imposer à moi. Le film est pourvu d’une BO sublime, son main theme fait désormais partie de ma playlist, aussi difficile d’accès que ma liste de films d’horreur approuvés. Je suis en général très récalcitrant vis-à-vis de tout ce qui peut se ranger de près ou de loin dans la catégorie weeaboo. Mais pour le coup, je suis prêt à l’assumer et même à lancer le replay plusieurs fois d’affilée tant je trouve cette musique exceptionnelle. Quant à l’histoire, c’est le point culminant de l’œuvre. Le synopsis apparemment pas très original est originalement présenté et traité et la suite m’a surpris, le film s’imprégnant d’une dimension fantastique / SF que je n’attendais pas du tout.

Le Roi des Ronces fait partie de cette catégorie de films qui trouve tout son génie dans les réponses aux questions soulevées tout du long. D’ailleurs, il vaut mieux être bien concentré pendant le visionnage, l’ultime résolution n’est pas accessible au premier quidam venu, d’autant que le rythme s’accélère au fur et à mesure. Pas de trous ou de facilités scénaristiques, rien n’est laissé au hasard. J’ai pu lire sur une autre critique du film qu’un second visionnage conférait au film une toute autre ampleur, la connaissance des événements à venir permettant de discerner les nombreux indices du twist disséminés tout au long de l’histoire. Pourquoi pas après tout, Le Roi des Ronces compte désormais parmi les films que je n’aurais aucun mal à revoir.

Bref, j’ai ce formidable défaut d’être moins à l’aise pour parler de ce que j’aime (surtout sans devoir en dévoiler trop) plutôt que de ce que je n’aime pas, la virulence d’une diatribe m’indisposant moins que quelques déclarations sous le balcon, mais j’espère au moins m’être fait comprendre sur ce point : j’ai adoré Le Roi des Ronces. Et je vous conseille vivement de le regarder, ce soir même, là maintenant d’ailleurs. Vous devriez déjà avoir lancé le film. Depuis 10 minutes. À la lecture même du titre de l’article. J’espère qu’il vous plaira autant que moi, n’hésitez pas à venir échanger dessus, je serais ravi de pouvoir confronter ou conforter mon opinion.

Jean-David : J‘ai aussi beaucoup aimé le film, son dessin et la BO. Il reprend des thèmes récurrents dans l’animation japonaise : la question du double, la question du futur, le rôle de l’armée et des pays belligérants ainsi que le passage de l’enfance à l’âge adulte. Ayant déjà beaucoup regardé d’animes je trouve que les sujets sont traités avec profondeur et la réalisation très bien menée. Par contre (spoiler alert) je trouve dommage que l’on passe aussi facilement de la question d’un monde post-contamination à celle de la manipulation des rêves. Cette dérive scénaristique est souvent présente dans l’animation japonaise qui a tendance à brasser trop d’idées en même temps de par l’organisation de leur production. Néanmoins le rapport au conte et aux ronces m’a bien intéressé. Plutôt une bonne expérience donc.

Aloïs : C’est effectivement un truc très japonais ça, avec la thématique également du dernier espoir, de devoir survivre, avec la promesse des deux sœurs. Il y a d’ailleurs beaucoup d’animes qui font le parallèle entre le rêve et la fin de quelque chose, que ce soit dans Akira, Ghost in the Shell, la plupart des Miyazaki. J’avais d’ailleurs lu un petit article là-dessus qui abordait succinctement ce point précis en disant que le public européen était carrément moins sensible à ça alors que c’était un des piliers thématiques de l’animation japonaise. Mais je le trouve très bien amené ce passage du monde post-contamination aux rêves, au final les deux sont liés, et c’est même sur ça que repose toute l’histoire. Après c’est vrai qu’en soi les sujets, même liés, diffèrent, on passe de toute l’atmosphère maladie mystérieuse, recherche de traitement à quelque chose de fantastique, à l’onirique, et qu’à partir de ce moment, le premier sujet est un peu écarté.

Jean-David : Je ne trouve pas que ça soit bien amené (récit du fondateur de Venus Gate) mais tout est lié et ça se tient en effet. Seulement tout n’était peut-être pas nécessaire au début.

Lune : Et dans Le Parrain, tout est-il nécessaire, Dylanesque ?

La trilogie Le Parrain, Francis Ford Coppola, 1972-1990

le parrain lunécile

Dylanesque : À la Toussaint, j’ai enfin visionné la trilogie du Parrain, que je connaissais seulement via quelques passages iconiques et de nombreuses références/hommages dans d’autres œuvres de fiction. Comme tout homme blanc qui se respecte, j’aime les histoires de gangsters. Les flics et les bandits, les cowboys et les indiens, ça m’excite. Mais comme tout homme blanc post-moderne, je découvre tout à l’envers et mon esprit critique peut parfois me gâcher des plaisirs primaires. Avant de m’attaquer aux films de Coppola, j’avais déjà ingurgité ses héritiers, de Martin Scorsese (Les Affranchis) à David Chase (Les Soprano). Je savais déjà que les deux premiers opus étaient considérés comme des monstres sacrés du ciné et que le troisième était problématique. Alors qu’est-ce que ce visionnage allait bien pouvoir m’apporter de neuf sur un genre dont je maîtrisais déjà les poncifs et les ressorts ?

Le premier volet n’a fait que confirmer tout ce que j’en attendais et je ne vais pas m’y attarder, je risquerais d’enfoncer des portes ouvertes. C’est un excellent film de mafia et un excellent film tout court. Si vous ne l’avez pas encore vu, c’est le seul qu’il vous faut vraiment, le seul qui, à mon goût, est digne de sa réputation. La construction du récit est exemplaire, aussi bien au niveau de la tension dramatique que de l’évolution des personnages. Les enjeux sont claires et la narration très fluide. La réalisation alterne entre du classicisme très beau à regarder et une belle créativité quand il s’agit de représenter la violence. Les performances sont grandioses, c’était l’époque où Pacino ne cabotinait pas et était le meilleur acteur de sa jeune génération et celle où Marlon Brando cabotinait à mort mais le faisait mieux que n’importe quel acteur de n’importe quelle génération. Bon, le passage en Sicile a un peu vieilli et n’est pas très fin dans sa transformation de Michael Corleone en revanchard suite à la mort de la femme-outil du récit, Apollonia. Mais à part ça, Le Parrain est une succession de scènes cultes – j’utilise ce mot le moins possible mais il s’applique ici – et de scènes cultes qui forment un tout cohérent malgré la longueur du film.

le parrain lunécile

Avec la deuxième partie, les choses se compliquent. Dès que quelqu’un veut prouver qu’il existe des suites réussies, c’est l’exemple privilégié. Et si ça reste un film plein de bonnes idées et tout à fait digne, il est loin d’être à mes yeux à la hauteur de l’original – bien qu’il fut réalisé dans la foulée. On sent en fait que Coppola a voulu en faire dix fois plus et, à vouloir mélanger prequel et sequel, il est un peu victime de son ambition. Avec 3h30 au compteur, le film est boursouflé de longueurs et, du coup, le récit perd énormément en fluidité et en impact. À force de voyager entre passé et présent, entre New York et Cuba, entre Pacino et De Niro, j’ai rapidement développé un jetlag qui m’a empêché d’être vraiment investi dans les tragédies de la famille Corleone – sauf pour le cas de Fredo, personnage tout à fait poignant. Devant les flashbacks avec De Niro, j’avais même parfois l’impression d’être devant des scènes coupées de Il était une fois l’Amérique de Sergio Leone. Je crache pas dans la soupe non plus hein : il reste une mise en scène savante, des acteurs formidables et des séquences très marquantes. Mais c’est déjà plus décousu, plus inégal. Un peu comme quand un groupe se lance dans un double album excessif juste après son premier succès. Avec un montage plus précis, plus économique, Coppola aurait enchaîné deux chef-d’œuvres au lieu de nous proposer une très bonne suite. À moins qu’il ne souhaitait incarner aussi bien dans le fond que dans la forme la décadence des Corleone. Je ne sais pas, je me dis juste qu’il aurait dû s’arrêter là.

Parce que la troisième partie est à l’image du personnage incarné par Andy Garcia : un fils bâtard, un cousin qui a plus hérité des défauts que des qualités de ses aînés. Sorti en 1990, Le Parrain 3 fait plus office de post-it que d’épilogue satisfaisant à la saga Corleone. Il y avait pourtant de quoi raconter encore beaucoup de choses sur la chute de Michael et, notamment, pour le mettre en face de ses pires actions. Coppola a bien l’intention de faire le procès de son personnage mais plutôt que d’utiliser des personnages déjà existants ou de nouveaux protagonistes consistants, il passe par deux éléments peu convaincants : Mary Corleone et le pouvoir de rédemption de la religion. La première, on le sait tous, est incarnée par une Sofia Coppola qui sera la première à souffrir de ce népotisme bien cruel, tant elle est incapable d’être crédible une seconde – et pour ne pas être trop injuste, ils sont beaucoup dans ce film à faire le minimum nécessaire, Pacino étant loin de ses heures de gloire et Andy Garcia étant bien trop lisse pour incarner le nouveau Don. Quant à l’élément religieux, il sert à la fois de curseur moral et d’élément d’intrigue. Une intrigue de conspiration au Vatican très mal foutue qui, malgré les 3 heures du film, n’arrive jamais à être limpide ou excitante. Il est bien plus intéressant de voir Kay remettre en cause l’hypocrisie de son ex-mari que de voir celui-ci se confesser devant le futur Pape. En fait, le film est bon quand il revient à une petite échelle, celle de la famille Corleone – et l’aurait été encore plus avec un meilleur casting des enfants de Michael. Mais quand il s’attaque à des sujets trop grands lors de scènes trop longues – la cérémonie d’ouverture et l’opéra de clôture – il se perd en grandiloquence et ennuie. Là aussi, on peut se dire que c’est à l’image de Don Corleone qui perd ses proches en voulant s’attaquer à des ennemis qui le dépassent. Ou on peut juste se dire que tout ça est un beau gâchis.

corleone lunécile

N’empêche, regardez les trois films, c’est toujours intéressant de voir comment un réalisateur peut s’essouffler ou se perdre dans son travail. Si vous n’avez pas le temps, le premier fera très bien l’affaire. Et si vous n’aimez pas les films de gangsters qui ne passent pas le test de Bechdel, ne vous infligez pas ça sous prétexte que c’est culte. Ce serait une très mauvaise raison.

Lune : Oki alors moi je vais plutôt aller me mater Seul sur Mars avec Jean-David.

Seul sur Mars, Ridley Scott, 2015

seul sur mars lunécile

Jean-David : Ridley Scott est connu pour sa capacité à raconter des épopées. C’est son truc. Il fait de grand gros films qui nous donnent envie de devenir Moise des bois. Une épopée ce n’est pas drôle. Même pas rigolo. Mais avec Seul sur Mars, Ridley a franchi un cap : on s’amuse.

Alors qu’est ce qui a changé exactement ? Pourquoi maintenant ?

Jusqu’ici il n’avait produit que des films très sérieux. Même dans le cas de Robin des bois, déjà adapté plusieurs fois, son interprétation restait cloisonnée à ce qu’il sait faire, l’épopée. Le même cas de figure se présente pour Seul sur Mars. Il n’a pas été adapté mais Apollo 13 de Ron Howard est tellement présent que c’est tout comme. C’est l’histoire d’un mec qui doit fabriquer des trucs pour survivre dans l’espace. Mais où Apollo donnait à voir un drame humain, inspiré de faits réel, dans lequel on tremblait à chaque nouveau problème, Seul sur Mars montre Matt Damon qui s’éclate à jouer James Lovell pendant qu’on attend la prochaine péripétie avec impatience. En d’autres termes, les précédents films de Ridley Scott n’étaient nullement connectés à l’histoire du cinéma alors que celui-ci est, sans aucun doute, le produit d’un homme qui a aimé Apollo 13. Et ça fait du bien de savoir que Ridley Scott aime le cinéma.

Si vous en doutez encore, allons plus loin. Je ne pense pas avoir besoin de montrer comment Apollo 13 est convoqué. Au-delà du scénario dont la base est rigoureusement identique, Ridley Scott s’approprie allègrement les codes présent dans le premier film. Matt Damon est autant James Lovell que pouvait l’être Tom Hanks : un Mac Gyver de l’espace qui garde son sang froid. C’est l’homme de la situation (il est biologiste), comme l’était Lovell (pilote de chasse). L’équipe de la Nasa est pareillement plaquée sur l’équipe d’Apollo. On pourrait inverser les dialogues entre les deux films que ça passerait crème.

Je sais que vous avez besoin de 30 jours pour construire ce truc mais vous allez le faire en deux heures avec ce qu’il y a sur la table.

Bref, c’est pareil. Pareil jusqu’à un certain point. Ron Howard a fait de son film un drame réaliste. On s’inquiète de savoir s’ils vont mourir ! Alors qu’on sait pertinemment que Mark Watney s’en tirera. Le montage est bourré de raccourcis scénaristiques qui, à l’étude, ne tiennent pas. L’enchaînement des coïncidences qui ont permis à l’équipage d’Apollo de survivre tenait du miracle, ici il tient simplement à la magie du cinéma. Mais c’est toute la dialectique du film qui se joue là. Seul sur Mars arrive à combiner les aspirations épiques d’Apollo 13 au simple plaisir de faire du cinéma. Le cinéma est amusant. Les astronautes passent leurs temps à se faire des blagues. La bande son remet les opérations techniques complexes nécessaires au même niveau qu’un pas de danse. Au cinéma on peut se permettre de mettre des salles de fitness de 300 mètres carrés dans l’espace. Au cinéma on peut se permettre de faire d’un astronaute un Iron Man. On s’en fout que ça soit complètement irréaliste, c’est cool.

 Le dessin de la semaine

mon roi maïwenn lunécile