Marilyn, de février à juin

Ça fait un moment que sans partager j’emmagasine tout un tas de merdier sur la Miss – j’ai récemment dépassé la barre des 500 billets sur Par hasard Marilyn c’est pour te dire – et je suis navré mais quand on arrête pas de gonfler la baudruche y’a forcément un temps t où ça finit par péter.

Positif, Tome II, n°13, Mars-Avril 1955

Je suis tombé sur ce vieux numéro de cette sempiternelle revue ciné que je sais pas du tout qui la lit à part ceux qui l’écrivent. J’ai récupéré celui-ci dans une foire à bouquins car y’a un article sur – t’inquiète je perds pas le Nord – Marilyn Monroe.

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« MÉTAMORPHOSE DE L’AMÉRIQUE, DE MARX À MONROË » – on se calme coco, le Marx dont le journaliste parle, c’est Groucho. L’article consiste à retracer le déploiement de Marilyn Monroe, de ses premiers pas de pin-up aux affirmations récentes de ses ambitions ; ça commence par un peu de bio, puis ensuite ça se dégoupille en trois mouvements 1) Marilyn Monroe auteure (best-of des réparties irl de la belle), 2) Marilyn Monroe muse (florilège d’exaltations marilynesques, critiques et publiques), 3) Marilyn Monroe master of her fate (à la recherche du rôle de sa vie). Ce qui m’a le plus interpellé dans cet article finalement assez banal, c’est que dans toute la première page, « Monroe » est orthographié « Monroë ». Et puis après plus rien. J’ai posé quelques pièges à académicien de ci de là mais pour l’instant ils sont passés à travers les mailles. Dès que j’en saurai plus, t’en sauras plus.

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À part ça, je ne résiste pas à l’envie de détailler – pour ton bon plaisir de petit curieux – quel était, à côté de l’éloge de Marilyn, le vrai enjeu de ce vieux numéro de Positif. Tambour… « Bilan critique d’un an de cinéma ». Woh !

« Il faudrait une bonne volonté certaine pour tenir 1954 pour une grande année de cinéma français. »
« D’Angleterre sont venus cette année encore des films soignés et un peu ternes, aucun chef-d’œuvre, aucun film déshonorant. »
« Le cinéma italien est et reste le premier d’Europe. »
« L’on continue à nous priver de tous les films allemands dignes de quelque intérêt, qu’ils soient de l’Est ou de l’Ouest »
« Quelques films soviétiques ont franchi le rideau de la censure. Ce sont naturellement des œuvres anodines »
« Dans la masse de productions [américaines] qui nous sont montrées pêle-mêle, il est évidemment assez difficile de se repérer. On peut s’attendre à un bon film presque accidentel de la part d’un réalisateur américain de second plan, tout aussi bien qu’à un détestable navet signé d’un grand maître. »

En 1954, les ritals menaient la danse, mon gars ! Le plus rigolo, c’est ce constat final, qu’on pourrait lire quasi-tel quel dans une revue ciné d’aujourd’hui 2014 :

Car un peu partout à travers le monde, force reste aux superproductions. A une certaine baisse de fréquentation des salles ces dernières années (où la Télévision n’a pas joué le rôle unique qu’on lui attribue trop vite), les producteurs ont réagi par la recherche du sensationnel, du colossal. Avec les nouveaux procédés de « grands écrans », les foules de figurants et les décors énormes ont envahi les plateaux pour de pseudo-reconstitutions historiques. Les capitaux se sont concentrés au prrofit de cinéastes « sûrs ». Le premier film français dont le devis dépasse le milliard va être entrepris par Sacha Guitry.
Pour diminuer les risques énormes, les producteurs s’en tiennent aux sujets et aux genres qu’ils considèrent comme ayant fait leurs preuves. Aussi les adaptations de pièces à succès, de best-sellers et de romans classiques, les remakes de films anciens se multiplient-ils. Quel que soit le soin technique apporté à de semblables entreprises, une telle méthode laisse bien peu de chances pour des films de signification ou de forme nouvelles.

La Joyeuse parade, Walter Lang, 1954

Pas aussi mauvais qu’on le dit, pas aussi mauvais que Marilyn elle-même l’a dit – « Un rôle idiot dans un film idiot ». Bon, c’est vrai qu’elle a pas franchement l’occasion de briller dans ce film, elle se coltine un second rôle pas bien passionnant. Mais le film, sa sous-exploitation de Marilyn mise à part, est pas mal. Son seul gros défaut, c’est sa direction artistique gerbante. Je sais que ça rentre dans une logique de générosité, qui va de pair avec le Cinemascope (bien mieux utilisé je te rassure que dans Comment épouser un millionnaire), mais quand on se retrouve avec des numéros tels que Heat Wave où ça dégueule de mauvais goût à tous les coins, que les costumes et le décor sont tellement surchargés en zébulons et autres machins choses qui pendouillent que ça pourrit tout le visuel… on regrette à mort le parti-pris minimaliste de Cukor sur Le Milliardaire.

Sur le reste, pas de souci : les dialogues sont vifs, les enjeux scénaristiques sont intéressants (je n’arrive pas à me souvenir d’un autre film qui traiterait par exemple de la situation « enfant du music-hall qui veut devenir prêtre » – montrer que le showbiz peut être aussi perçu comme un dogme étouffant dont on pourrait vouloir s’échapper, dans un film censé être à sa gloire absolue, c’est intéressant), et surtout le cast sert très bien le propos. Le film oppose aux self-made gens un peu prédateurs les vieux de la vieille qui sont dans le showbiz par tradition familiale music-hall, et les acteurs correspondent aux profils de leur perso. Donald O’Connor joue l’aîné de la famille Dohanue, Marilyn incarne Vicky, starlette qui joue des coudes pour se faire une place parmi les piliers. C’est d’autant mieux pensé que les deux ont des façons de jouer vraiment ancrés dans les codes de là où ils viennent – O’Connor par exemple est toujours prêt à sortir un bon gag bien huilé tout droit sorti de ses routines vaudevilles. Encore mieux : le fiston qui veut devenir prêtre, Steve Donahue, il est joué par Johnnie Ray, qui a pas l’air du tout à l’aise dans les numéros musicaux ; ça rend la décision du perso carrément naturelle. Osé ! La Joyeuse parade, une comédie musicale qui vaut pas vraiment le détour, mais qui mérite qu’on s’y attarde si on tombe dessus par hasard.

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Il était une fois Hollywood, Juliette Michaud, 2013

Bel objet. On craint pendant quelques pages le guet-apens, car Michaud en fait un peu trop sur Hazanavicius – perso je vois pas trop en quoi avoir réalisé un remake moyen de Chantons sous la pluie ça confère à ce mec-là une légitimité en tant que spécialiste de Hollywood mais bon, ça passe vite. On entre ensuite dans le cœur du sujet, le contenu est basique, mais Michaud vise le tout public, alors on peut pas lui en vouloir. Ça fonctionne pas mal, d’autant plus que c’est fait bien plus rigoureusement que beaucoup de livres du même acabit avec pourtant des prétentions plus hautes (toutes les citations sont référencées précisément, et tous les titres sont donnés à la fois en VO et en VF). À feuilleter dans ta bibliothèque favorite, ou à recevoir à Noël quand ta famille sait que t’aimes le ciné classique américain mais n’est pas assez sophistiquée pour taper dans du pointu acéré.

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Chérie, je me sens rajeunir, Howard Hawks, 1952

Marilyn Monroe est parfaite en secrétaire sexy teubé, mais elle doit avoir à peu près deux minutes d’antenne… La mise en scène est pataude – paye ton record du nombre de raccords dans l’axe ratés, Howard ! – et le scénar est rigolo mais frustrant – la folie généralisée qu’on attend à partir du moment où le singe fout la potion dans le distributeur d’eau vient beaucoup trop tard et cette vision de l’enfance frénétique et destructrice, potentiellement très fructueuse en terme de comédie, reste jusqu’au bout sous-exploitée. Le réel intérêt du film se situe du coup dans le numéro de Ginger Rogers et surtout celui de Cary Grant, qu’on avait jamais vu dans cet état-là, lui le flegmatique, lui l’imperturbable.

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La Fin du film, Arthur Miller, 2004

Petite MAJ dans ma rubrique Marilyn Monroe : c’est décidé, après réflexion, Les Désaxés est un grand et beau film. Je dis ça car l’autre fois j’hésitais. Je dis ça aussi car ça concerne à fond la pièce dont à propos de laquelle je vais te parler, La fin du film, que c’est les derniers jours du tournage des Désaxés avec un mini-filtre de rien du tout genre la star dépressive et droguée incapable de sortir de son lit s’appelle Kitty au lieu de Marilyn, de la pacotille pour lecteurs myopes. Mais qu’est-ce qui lui prend à Tutur de ressortir ces vieilles histoires du carton quarante ans après ? Besoin d’attention, de simflouz ? Pas particulièrement ! La Fin du film est une œuvre tout à fait valable, qui prolonge parfaitement le travail entrepris dans Les Désaxés.

J’en retiendrais deux choses. En premier lieu, la réflexion autour de Marilyn est extrêmement maline. Miller, alors même qu’il a mis sa kikoute dedans, ne prétend pas avoir la clef des mystères de la dame. C’est tout à son honneur, d’autant plus que cette humilité, tous les biographes que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’alors ne l’ont pas. Marilyn est le personnage principal de cette pièce – l’enjeu c’est qu’on est sur un gros tournage, au moment où on a pris tellement de retard à cause d’elle que la prod envisage de tout arrêter et envoie un type sur le terrain pour voir si ça vaut encore la peine d’essayer – mais elle n’a qu’une seule répliquounette, un tout petit « Oui ? ». Quand Kitty parle, sa voix est indistincte pour le spectateur. En revanche, on entend très distinctement la dizaine d’autres personnages essayer de la comprendre, et malgré toute leur bonne volonté, finir par s’approprier ses problématiques pour bougonner sur des soucis persos, ou ne s’en servir finalement que comme un prétexte pour livrer leur vision du monde et de l’art. C’est d’une justesse terrible. La voix de Marilyn aujourd’hui n’existe plus : on a ses films mais elle n’y dit que les mots des autres ; on a ses interviews mais la plupart sont mauvaises (« Vous avez perdu du poids non ? Combien ? Comment ? ») ; on a ses fragments mais la plupart sont insignifiants. On n’a plus que la voix de ceux qui essaient de comprendre. Il y a ceux qui pensent que Kitty est une manipulatrice, ceux qui pensent qu’elle est une paumée, il y a ceux qui pensent que son talent est inné et animal, ceux qui pensent que c’est le fruit d’un travail de longue haleine pour échapper à sa nature… Et Arthur Miller ne donne tort à personne, ne donne raison à personne.

C’est la faute à l’Europe, mon cher. Ils nous font chier avec ça depuis des années. On faisait des films que le monde entier nous enviait, et comme ils ne pouvaient pas en faire autant, ils se sont mis à parler d’art. Les Allemands m’ont envoyé des thèses longues comme ça sur mon boulot de cameraman et sur ma philosophie du tournage. Et j’y ai jamais rien compris. Une fois, j’ai été invité à faire une conférence en Suède, et ils m’ont demandé combien de temps j’allais parler. Cinq minutes, je leur ai dit. Ils en revenaient pas. Qu’est-ce qu’on peut raconter aux gens quand on est cameraman ? Hein ? Pour le visage, on approche la caméra, et pour le cul, on la place plus bas ! Quoi d’autre ?

En second lieu, c’est très beau, Miller arrive à tirer une conclusion optimiste de cette expérience tragique, de ce tournage dominé par la pulsion de mort qui a dû être le pire moment de la vie de tous ceux qui y ont participé. « Le feu fait ouvrir les graines ». C’est la phrase qui ferme la pièce (elle fait écho à une intrigue d’arrière-plan qui la traverse, une histoire de feu de forêt gigantesque) et encore une fois c’est tip top malin : le tournage des Désaxés a été un enfer ; ce qu’il en reste, concrètement, c’est un film brillant, qui a inspiré des milliers d’artistes, fait du bien à des milliards de gens. C’est peut-être là que les quarante années de recul ont été bénéfiques à l’écriture. Il a dû falloir du temps à Miller pour digérer tout ça, et préserver l’espoir contre le fatalisme facile.

La grande Sarah Bernhardt connaissait vingt-cinq poses qu’elle sortait toutes prêtes de ses poches comme on claque des doigts, et quel que soit le rôle qu’elle devait interpréter. Vous voulez de la colère ? Voilà de la colère. (Il prend une pose pour chaque sentiment.) De la pitié ? Du danger ? De l’amour ? De l’admiration ? Du mépris ? De la terreur ? J’appelle ça de la technologie, du jeu à la va comme je te pousse. Sarah Bernhardt a été la plus grande experte de cette façon de faire. Elle était l’IBM du jeu d’acteur. Elle a même réussi à tromper Bernard Shaw. Alors que notre Italienne… elle n’était pas belle, un mètre soixante tout au plus, peut-être soixante-cinq, elle ne se maquillait pratiquement pas et refusait tous les apparats. Ce que je veux dire, c’est que quand Sarah Bernhardt entrait en scène, c’était Moby Dick et la City Bank de New York, on ne l’imaginait pas sans une longue robe en satin, une tonne de maquillage et tout le tralala… La Duse, elle, entrait en scène comme par hasard, comme si elle venait de pousser une porte donnant directement sur la rue. Et elle savait comment s’y prendre avec les silences. La Bernhardt dominait la scène, mais la Duse l’aimait, tout simplement. Pas la peine de t’expliquer ce que je veux dire, chérie : pour interpréter un rôle, la Duse devait avant tout être amoureuse de quelqu’un ou de quelque chose : son enfant, sa chambre, un homme, son rôle, la ville, le pays, un édredon – la vie, quoi !

Marilyn Monroe, Philippe Peseux, 2004

Objet peu commun, c’est un coffret CD BD que voilà. La démarche est de réhabiliter Marilyn Monroe chanteuse, ce qui est une bonne démarche, quoiqu’un peu inutile, dans la mesure où j’ai jamais entendu personne, à part dans le Hollywood des early 50s, dire que Marilyn chantait pis qu’une passoire – c’est bien de mettre en avant cet aspect de la bête car le fait est que quand elle se met à chanter dans les films et les annivs c’est généralement les meilleurs moments, la crème de la cerise. Ainsi t’as deux CD avec l’intégralité des chansons de Marilyn (et quand ils disent intégralité c’est pas de la poudre, ils ont jusqu’à la délicatesse de caler son passage au Jack Benny Show ou les séquences de piano dans Sept ans de réflexion), par ordre chronologique, et ça y’a pas de souci, ça fait du bien par où ça passe. Par contre l’intérêt de la BD qu’accompagne, je le discute encore. Monsieur Peseux s’amuse à imaginer que Marilyn va collaborer une troisième fois avec Billy Wilder, point de départ plutôt rigolo, mais concrètement prétexte à un jeu de références ni subtil ni drôle et à des dessins en forme de grasses gribouilles baveuses qui n’ont pas sis à mon œil faible. Cela dit, les planches publiées sur le site de M. Peseux sont assez belles dans leur fausse imprécision, alors c’est peut-être juste un souci d’impression raté papier gras encre salive.

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En réécoutant That Old Black Magic, extrait d’Arrêt d’autobus, numéro dans lequel Marilyn en fait exprès d’être nulle, Lune s’est exclamé avec son acuité toute sélénite : « On dirait du Björk ! » Je te laisse sur cette réflexion, petit lecteur, aimé lecteur, on en reparle la prochaine fois, une Marilyn Monroe qui chante mal = une Björk qui chante bien.